Travail parlementaire

Session inédite de mars 2021: était-ce le « temps des réformes » ?

22/09/2021

La IIIe République enregistre la session ordinaire la plus longue de son histoire à l’Assemblée nationale. Ouverte le 15 mars 2021, celle-ci devait se clôturer le 15 juin, mais elle était toujours en cours à la veille du début initialement de la session ordinaire suivante, c’est-à-dire celle de septembre 2021. Talatala dresse le bilan d’une session inédite.

C’est l’histoire d’une session ordinaire pas comme les autres. Il y a six mois, le 15 mars, Christophe Mboso annonce la couleur. « La session qui s’ouvre ne sera pas de tout repos », indique le nouveau président de l’Assemblée nationale. Après l’explosion de la coalition entre le Front commun pour le Congo (FCC, de l’ancien président Joseph Kabila) et le Cap pour le changement (Cach, du président Félix Tshisekedi), c’est ce doyen des députés, 79 ans, qui a été propulsé à la tête de la chambre basse du Parlement congolais, après avoir dirigé le bureau d’âge.

Le calendrier des travaux est ambitieux : 22 propositions de loi et une pétition de révision constitutionnelle inscrites, auxquelles s’ajouteront trois propositions de loi après l’ouverture de la session et sept autres initiatives législatives après le 15 juin, date initialement prévue pour la fin de la session. Sans compter les projets de loi, initiatives du gouvernement.

Aux dires du président de l’Assemblée nationale, toutes ces initiatives législatives devaient « focaliser [l’]attention » des députés et être délibérées en plénière. Même si, prévient Christophe Mboso à l’époque, ce sont « les lois qui ont trait à l’organisation des élections, en occurrence la loi électorale et la loi organique portant organisation et fonctionnement de la centrale électorale [qui] bénéficieront de la priorité dans leur examen ». C’est « le temps des réformes », martèle-t-il alors. Quel est alors le résultat des courses de cette session dont la clôture a été retardée en raison de l’état de siège instauré au Nord-Kivu et en Ituri, cette mesure exceptionnelle ayant contraint les députés à ne pas prendre des vacances parlementaires pour pouvoir examiner son renouvellement tous les 15 jours ?

  • Seulement trois propositions de loi ont été adoptées

À la clôture de cette session marathon, le 15 septembre, le compte n’y est pas. Seules trois propositions de loi ont été adoptées. Il s’agit de la proposition de loi réformant la Ceni, celle portant création de la taxe pour la promotion de l’industrie et celle se rapportant aux principes généraux relatifs à la protection et à la promotion des peuples autochtones pygmées.

Comparativement à la session précédente - celle agitée de septembre 2020 ayant abouti la destitution du bureau de Jeanine Mabunda -, l’Assemblée nationale passe tout de même d’une à trois propositions de loi adoptées par session sur un total quasi égal du nombre d’initiatives législatives (arriérés législatifs et nouvelles matières) enregistrées à l’ouverture de chacune de ces deux sessions : 26 projets et propositions de loi en septembre 2020, 28 en mars 2021.

  • Aucun projet de loi repris dans le calendrier n’a été adopté

L’élasticité de cette session ordinaire a permis à l’Assemblée nationale d’adopter sept projets de loi de prorogation de l’état de siège, cette mesure exceptionnelle devant être reconduite tous les 15 jours. Sept autres projets de loi se rapportant aux accords de prêt entre l’État congolais et ses partenaires ont également été adoptés au cours de la session.

Cependant, aucun des cinq projets de loi repris dans le calendrier de la session de mars - qui est resté, bien entendu, ouvert - n’a été adopté. Il s’agissait de trois arriérés législatifs : projet de loi portant modalités d'application de l'état d'urgence et l'état de siège en RDC, celui autorisant la ratification de l'aménagement de Kigali au protocole de Montréal sur les substances qui appauvrissent la couche d'ozone et celui autorisant la ratification du Protocole à la Charte africaine aux droits de l'homme et des peuples relatif aux droits des personnes handicapées en Afrique. À ces trois textes s'ajoutent le projet de loi portant reddition des comptes de la loi de finances de l’exercice 2020 et celui relatif à la programmation militaire. 

  • Une seule proposition de loi sur les trois ayant trait aux élections et inscrites au calendrier a été examinée et adoptée

Ces résultats mitigés dans la production législative concernent également les textes prioritaires sur la gouvernance électorale. Seule la proposition de loi réformant une nouvelle fois la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a été examinée, revue et reformulée par la commission politique, administrative et juridique de l’Assemblée nationale. 

Le texte, finalement élagué de certains « ajustements » courageux de sa version initiale, notamment l’exigence d’une composition équilibrée dans la composition de la Ceni, a été adopté, le 4 juin, soit près de deux mois après la nomination de son initiateur, Christophe Lutundula, au gouvernement.

Deux ans après son dépôt, le 19 août 2019, une proposition de révision constitutionnelle traîne, elle, toujours dans les tiroirs du bureau de l’Assemblée nationale. Introduite par Delly Sesanga, Jean-Marc Mambidi et Simon Mulamba, députés du groupe parlementaire Alliance des mouvements du Kongo et Alliés (AMK-A), cette initiative est pourtant cruciale pour les futures élections, le retour au second tour de la présidentielle faisant partie des changements proposés. La proposition a certes été inscrite au calendrier des travaux de la session de mars en cours, mais elle n’a toujours pas été examinée.

Il en est de même de la proposition modifiant et complétant l’actuelle loi électorale. Initiée le 17 septembre 2020 par 10 députés - un devenu ministre, Patrick Muyaya, et un autre décédé, Henri-Thomas Lokondo -, essentiellement membres du G13, ce texte prévoit aussi, entre autres, le rétablissement du second tour de la présidentielle mais également la suppression du seuil de représentativité et l’obligation de publier les résultats des scrutins à venir bureau de vote par bureau de vote. Restent aussi à examiner les éventuelles modifications d’autres textes du cadre légal électoral, notamment la loi sur la répartition des sièges par circonscription électorale et la loi portant identification et enrôlement des électeurs.

  • 21 % des propositions de loi déposées ont été examinées

Pour cette session de mars, le bureau de l’Assemblée nationale a reçu 33 propositions de loi dont deux pétitions de révision constitutionnelle, mais seulement sept d’entre elles ont été soumises à l’examen auprès des commissions permanentes spécifiques, selon les données que Talatala a pu documenter. 

Comme illustré plus haut, il en est ressorti trois propositions de loi adoptées en plénière. Demeurent sur la table des commissions permanentes la proposition de loi portant création, organisation et fonctionnement de l’Ordre des ingénieurs agronomes en RDC, celle portant création, organisation et fonctionnement de l'Ordre national des géologues, celle modifiant la loi portant principes fondamentaux relatifs à l'agriculture et celle modifiant et complétant le code pénal, en ce qui concerne les peines applicables  aux infractions prévues les actes uniformes de l'Ohada.

Les chiffres sont beaucoup plus nuancés lorsque l’on inclut les projets de loi : le taux des textes examinés passe en effet de 21 % à 40,3 %, avec tout de même près de 60 % des matières annoncées mais non examinées.

À titre comparatif, le calendrier de la session de septembre 2020 avait retenu 26 matières législatives pour, à l’arrivée, six textes examinés, soit 23 % : une proposition de loi et trois projets de loi relatifs au budget et aux finances publiques adoptés ainsi que deux propositions de loi et un projet de ratification d’un traité international en cours d’examen au sein des commissions permanentes spécifiques.

  • AAB et MS-G7 en tête des groupes parlementaires les plus productifs

Les 33 propositions de loi et pétitions de révision constitutionnelle documentées par Talatala ont été introduites en trois temps : d’abord, avant l’ouverture de la session (23) ; ensuite, pendant la durée initiale de la session (3) ; enfin après le 15 juin, date initiale de la clôture de la session (7). Et c’est l’Action alternative pour le bien-être et le changement (AAB) qui pointe en tête du classement des groupes parlementaires les plus productifs de l’Assemblée nationale.

L’AAB a déposé quatre propositions de loi et une pétition de révision constitutionnelle déposées au cours de cette session inédite de mars 2021. Ces cinq textes législatifs s’étendent de la problématique de la « gestion des rues » à la controverse autour du « verrouillage » de certaines hautes fonctions de l’État et de la « congolité » , en passant par les questions de l’organisation de l’armée et de la répression de la corruption dans le code pénal.

Initialement groupe parlementaire membre du FCC et porté entre autres par le député Crispin Mbandu Phazu, nommé depuis vice-ministre du Plan, l’AAB se réclame désormais de l’Union sacrée de la nation (USN), nouvelle coalition au pouvoir mise en place par le président Félix Tshisekedi. Un virage qui n’est pas sans conséquence en interne, puisque certains élus continuent à revendiquer leur loyauté à Joseph Kabila. C’est le cas de Josué Mufula Jive, élu de Goma, auteur d’une de cinq initiatives législatives de l’AAB - la proposition de loi modifiant et complétant la loi portant organisation et fonctionnement des FARDC -, qui se retrouve, pour l’instant, non inscrit.

Comme le graphique ci-dessus le renseigne, abstraction faite de la participation d’un de ses députés (Christophe Lutundula) à la proposition de loi modifiant et complétant la loi électorale en vigueur, portée par le G13, le groupe parlementaire Mouvement social/Groupe des 7 (MS-G7) a initié quatre propositions de loi, parmi lesquelles celle réformant la Ceni et celle portant création de la taxe de promotion de l’industrie, deux des trois textes adoptés au cours de la session de mars. Suivent avec trois propositions de loi chacun l’AMK-A, le Cach, le Mouvement de libération du Congo- A-D-N (MLC-A-D-N), le Parti lumumbiste unifié et alliés - Alliés (PLA-A) et le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD).

Relevons aussi que tous les initiateurs de ces 33 textes sont masculins. Aucune députée n’a introduit une proposition de loi au cours de cette session parlementaire de mars. 

La session ordinaire la plus longue de l’histoire de la IIIe République n’aura présenté donc qu’un si maigre rendement législatif. « Le bureau [de l’Assemblée nationale] a passé son temps à flemmarder », pointe le député Delly Sesanga. Mais, au palais du Peuple, l’on tente de justifier cet état de choses par le contexte politique successif à la requalification d’une nouvelle majorité au cours de la législature. « Par voie de conséquence, une grande partie du temps non négligeable a été mise à contribution [pour] la recomposition des commissions permanentes de l’Assemblée nationale », se défend Joseph Lembi, rapporteur du bureau.

  • Un contrôle parlementaire mis en pause ou presque

Qu’en est-il des moyens d’information et de contrôle mis à la disposition des élus ? La durée relativement longue de cette session aura-t-elle permis un contrôle parlementaire efficace de l’exécutif, des entreprises et établissements publics ? Pas si sûr. Au contraire, plusieurs députés contactés par Talatala dénoncent un « gel » de moyens d’information et de contrôle initiés. « Le bureau de l’Assemblée nationale n’a cessé de se comporter comme l’appendice de l’exécutif », tonne un député, pourtant membre de la majorité, appelant toutefois à ne pas « s’attaquer à l’épiphénomène Mboso ». Ce dernier ne ferait que « suivre, selon notre interlocuteur, le canevas tracé par le chef de l’État ».

Sont notamment mis en cause des moyens d’information et de contrôle à l’attention du gouvernement, mais restées lettres mortes. Il s’agit par exemple de toutes ces questions orales avec débat (10) ou encore écrites (10) ou d’actualité (2). Deux commissions d’enquête parlementaires ont été néanmoins ordonnées, l’une à l’issue de l’interpellation de José Mpanda, ministre de la Recherche scientifique, à qui le député Jean-Baptiste Muhindo reprochait une « défaillance délibérée » dans sa politique de gestion de l’Observatoire volcanologique de Goma (OVG) et l’autre sur la situation sécuritaire préoccupante dans l’est du pays. Mais, en réalité, aucune de ces deux commissions n’a réellement été mise en place. 

À en croire Pierre Lembi, des ministres bénéficiaient d’« une mesure de grâce » pour leurs premiers 100 jours aux affaires. Le rapporteur de l’Assemblée nationale rassure que, désormais, tous les moyens d’information et de contrôle introduits vont arriver à leur terme. Selon nos informations, le bureau de l’Assemblée nationale a commencé à envoyer, entre le 1er et 8 septembre, les questions des députés aux membres du gouvernement concernés. « Il faudrait agir vite et bien afin de replacer les institutions de la République sur l’orbite et leur indiquer la bonne direction », plaide pour sa part Sangolo-Zaku Moussa Kalemba, élu de Masi-Manimba, ex-membre du Groupe Action (GA), aujourd’hui non inscrit. 

  • Le gouvernement entre ratification et prorogation

Entretemps, le gouvernement ne s’est pas distingué non plus dans l’entreprise des réformes. Aucun projet de loi dans ce sens n'a été initié. Même le projet de loi programmation militaire attendu et inscrit au calendrier de la session n’a pas été déposé. Il en est de même de celui portant modalités d’application de l’état d’urgence et de l’état de siège en RDC. Instauré début juin au Nord-Kivu et en Ituri, l’état de siège est pourtant renouvelé, systématiquement, tous les 15 jours.

Dans le cadre de l’évaluation de cette mesure exceptionnelle, la commission permanente défense et sécurité de l’Assemblée nationale a convoqué et auditionné cinq ministres (Intérieur, Justice, Défense, Finances, Budget), mais aussi les deux gouverneurs militaires du Nord-Kivu et de l’Ituri ainsi que le chef d’état-major de l’armée. Po Na GEC, capsule audio du Groupe d'étude sur le Congo, en a consacré un épisode.

Parallèlement, la commission environnement, tourisme et ressources naturelles a entendu de son côté trois ministres, notamment Ève Bazaiba, vice-Premier ministre et ministre de l’Environnement pour requérir ses explications au sujet de la pollution de la rivière Kasaï par une activité minière en Angola. Et la commission économique, financière et contrôle budgétaire (Écofin) a entendu Nicolas Kazadi et Jean-Marie Kalumba, respectivement ministre des Finances et ministre de l’Économie, sur les éventuelles contributions du gouvernement à l’examen de la proposition de loi portant création de la taxe de promotion de l’industrie.

Au cours de la session de mars, l’on a assisté aussi à une avalanche de projets de loi de ratification se rapportant essentiellement aux accords de prêt entre la RDC et ses partenaires extérieurs : sept au total.

  • Peu de progrès dans la transparence du fonctionnement de l’Assemblée nationale

Compte tenu des difficultés d’accès à certaines données brutes considérées comme « sensibles », Talatala ne peut aujourd’hui ni indiquer ni décrypter le sens de vote des députés durant la session de mars. 

Il est également difficile, voire impossible, de dire qui a participé, ou non, à une telle plénière, les listes de présence étant également inaccessibles. Une absence de transparence qui perdure depuis plusieurs législatures.

Photo : Jean-Christophe Mboso, président de l'Assemblée nationale. Copyrigth : @AssembleeN_RDC/Twitter