Ce qu'il faut savoir

RAM en RDC : une motion incidentielle peut-elle étouffer une motion de défiance ?

15/10/2021

Le dossier RAM est au cœur de l’activité parlementaire depuis plusieurs mois en RDC.  Face à la controverse autour de cette taxe, quatre députés nationaux ont adressé des questions à Augustin Kibassa Maliba. L’opposition est allée même jusqu’à déposer, le 12 octobre, une motion de défiance contre ce ministre. Initiative finalement étouffée dans l'œuf. Décryptage.

Après deux reports, la plénière consacrée à l’audition des réponses d’Augustin Kibassa Maliba reprend, le mercredi 13 octobre, au palais du Peuple. L’ambiance est électrique, la tension vive. D’autant qu’une motion de défiance est désormais suspendue sur la tête du ministre des Postes, Télécommunications et Nouvelles technologies de l’information et de la communication qui vient répondre à la question orale avec débat concernant la très controversée taxe sur le Registre des appareils mobiles (RAM).

Depuis son instauration il y a un an, la taxe RAM de sept dollars par an suscite un tollé général. Des millions d’utilisateurs de mobile dans le pays se plaignent de son caractère régressif et du fait qu’elle est prélevée automatiquement sur des recharges des crédits de communication. Pire, la gestion des fonds collectés est opaque. Vingt-cinq millions de dollars ? 45 millions ? Plusieurs centaines de millions ? Les chiffres varient suivant les sources. C’est d’ailleurs ce qui avait poussé trois députés - Magguy Kiala, Juvénal Munubo et Claude Misare - à déposer, à des dates différentes, une question orale avec débat chacun adressée à Augustin Kibassa Maliba au cours de la longue session ordinaire de mars 2021. Le député Claudel André Lubaya avait, lui, transmis une question écrite sur la même problématique. Mais aucune de ces initiatives n’avait abouti. La faute à une « mesure de grâce » décidée par le bureau de l’Assemblée nationale pour les 100 premiers jours du gouvernement.

Ce moratoire levé avec la session ordinaire en cours de septembre, le dossier RAM refait surface. Le bureau de l’Assemblée programme alors souverainement la question orale avec débat de Claude Misare pour la plénière du 29 septembre. Ce jour-là, la majorité des députés qui ont pris la parole, sans égard à leur camp politique, dénonce avec virulence ce prélèvement fiscal opéré à l’insu du Parlement et non retracé par le Trésor public, selon eux. La suppression pure et simple de cette taxe est donc exigée, voire la démission du ministre, violemment pris à parti, par moments, lors des interventions de certains députés.

Des reports et des tractations politiques

Pour répondre aux députés, Augustin Kibassa Maliba sollicite 48 heures. Mais, à deux reprises, la plénière attendue est reportée.  Entre-temps, l’Union sacrée de la nation (USN), coalition au pouvoir dont sont issus le ministre et l’initiateur de la question, met à profit ce temps de report pour tenter de désamorcer la colère des députés. 

Des tractations se tiennent à l’hôtel Fleuve Congo entre les élus de la majorité et quelques membres de l’exécutif. Objectif : sauver Augustin Kibassa Maliba. Car, en face, l’opposition essaie de s'engouffrer dans la brèche pour faire tomber le ministre. Le mardi 12 octobre, 100 députés, essentiellement membres du Front commun pour le Congo (FCC), plateforme politique de l’ancien président Joseph Kabila, déposent une motion de défiance contre le ministre.

Initialement convoquée pour un ordre du jour comportant uniquement deux points - les réponses du ministre Augustin Kibassa aux préoccupations des députés à la suite de la question orale avec débat et une autre question orale avec débat adressée à Daniel Asselo Okito, vice-Premier ministre chargé notamment de l’Intérieur, sur la situation qui prévaut dans la province du Sankuru -, la plénière du 13 octobre pose sur la table des débats la question de la motion de défiance contre le ministre Augustin Kibassa. Pour Christophe Mboso, président de l’Assemblée nationale, il existe bien un lien entre cette motion et la question sous examen.

Une motion incidentielle prématurée

Très vite, la stratégie concoctée par la coalition au pouvoir se met en branle. Le député Jean-Pierre Kayembe (AFDC-A) demande la parole par motion incidentielle et sollicite le retrait de la motion de défiance initiée par l’opposition. Pour l’élu de Kananga, « cette motion est non seulement précoce, mais elle est aussi inopportune et n’a pas de raison d’être » parce que, selon lui, l’Assemblée nationale ne peut pas « examiner deux procédures au même moment ». « Attendons que le ministre réponde [à la question orale avec débat] et que l’initiateur de la question donne ses conclusions », plaide-t-il alors. Comme le veut le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, la plénière doit « se prononcer [sur la motion incidentielle] avant de commencer ou de poursuivre les débats sur une question principale ». 

L’opposition parlementaire connaît bien cette astuce parlementaire puisque, sous Kabila, c’est elle qui en faisait l’usage pour bloquer des motions de défiance ou des interpellations des ministres. Elle tente alors de perturber la séance, en refusant notamment la poursuite des débats entre les « pour » et les « contre » la motion incidentielle. Malgré la tension et les bousculades autour de la tribune, la séance se poursuit et la motion de défiance finit par être rejetée à main levée.

Pourtant, cette motion de défiance ne figurait pas parmi les questions principales à débattre au cours de la plénière du mercredi 13 octobre. En plus, elle est différente de la question orale et ce, peu importe que les deux portent sur le même sujet. Ainsi, si la motion de défiance contre le ministre Augustin Kibasa a été prématurée, la motion incidentielle qui a conduit à son rejet n’en est pas moins. Elle aurait dû être introduite lors d'une plénière consacrée à l’examen de la motion de la défiance.

Surtout que le débat et le vote ne peuvent avoir lieu que 48 heures après le dépôt de la motion de défiance ou de censure au bureau de l’Assemblée nationale, selon l’article 146 de de la Constitution. Ce délai permet à ce dernier de porter à la connaissance du concerné les faits mis à sa charge pour qu’il prépare sa défense. Déposée le 12 octobre, la motion de défiance contre Augustin Kibassa ne pouvait pas être examinée ou écartée le lendemain par une motion incidentielle. Car, non seulement le délai de rigueur courait toujours, mais aussi il n’est pas certain que cette motion de défiance était déjà transmise au ministre. 

 Quid de la primauté entre motion de défiance et motion incidentielle ?

Depuis la deuxième législature, une pratique parlementaire s’est forgée en RDC autour de la paralysie des motions de défiance par les motions incidentielles. Les premières sont prévues directement dans la Constitution, les secondes découlent du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. 

De fait, pour beaucoup de constitutionnalistes, cette primauté que semble accorder l’Assemblée nationale à la motion incidentielle sur la motion de défiance viole la hiérarchie des normes juridiques en RDC : les normes réglementaires sont censées se conformer à la Constitution.

En réalité, le blocage des motions de défiance par les motions incidentielles ressemble de plus en plus à une fraude : l’on impose aux députés de se prononcer ouvertement, à main levée, sur une question touchant une personne. Voter pour ou contre une motion de défiance aurait obligé à recourir à un vote secret, comme le recommande le règlement intérieur de l’Assemblée nationale. De ce fait, l’éviter permet à la majorité de veiller au respect des consignes données à ses membres. 

Un silence coupable de la Cour constitutionnelle ?

En 2015, la problématique de la motion incidentielle était soumise à la Cour constitutionnelle. Mais la plus haute instance judiciaire du pays avait décidé de ne pas décider, en se limitant de dire que « la motion incidentielle n’est pas prévue dans les dispositions constitutionnelles ». 

Dans plusieurs autres affaires, notamment lorsqu’elle a été appelée à interpréter la loi électorale en 2015, la Cour constitutionnelle avait pourtant pris le soin de décider, en se fondant sur sa compétence de régulation de la vie politique. 

En occurrence, cette régulation pourrait permettre le « déblocage des situations qui menacent le fonctionnement régulier » de l’Assemblée nationale, comme le note Jean-Louis Essambo dans son ouvrage Traité du droit constitutionnel congolais. À cette allure, la motion incidentielle demeurera l’arme fatale pour neutraliser le contrôle parlementaire.

Ithiel Batumike Mihigo

Photo : une plenière à l'Assemblée nationale en RDC. @AssembleeN_RDC/Twitter